Physical Address

304 North Cardinal St.
Dorchester Center, MA 02124

Les humoristes chinois ne plaisantent pas avec la censure

Même un lundi soir, le comedy club Er Sansan Talk Show, en plein centre de Shanghaï, fait salle comble. Devant une centaine de jeunes spectateurs plongés dans l’obscurité, un trentenaire, crâne rasé, grand tee-shirt blanc et larges lunettes, s’agite. Il chauffe le public avec quelques vannes et lui demande de s’entraîner à applaudir bien fort. Il donne aussi quelques instructions : les vidéos sont interdites. Pas question de « brûler » les punchlines, ces petites phrases concises et percutantes, des comédiens sur les réseaux sociaux. Quatre humoristes défilent, trois femmes et un homme. Les organisateurs ont gardé la meilleure pour la fin. Les rires se font alors plus fréquents. Si l’assistance ne s’est pas bidonnée, elle a tout de même passé un bon moment.
« C’est toujours un peu plus difficile de faire rire les gens en semaine, ils sont moins détendus », remarque Yao (son nom a été changé), le présentateur de la soirée, qui préfère rester anonyme. Un autre facteur joue aussi sur l’ambiance : chacune des blagues a dû être approuvée par le Bureau de la culture avant d’être racontée. Il est inenvisageable de parler de politique ou de sexe – pourtant des sujets favoris des stand-upeurs.
Malgré la censure, ce type de spectacles a connu un essor rapide ces dix dernières années en Chine. Inspirés par les stars anglo-saxonnes du genre, des comédiens – et de nombreuses comédiennes – ont émergé. En 2016, l’émission « Rock & Roast » a fait décoller la scène chinoise. Un télé-crochet dans lequel les candidats défilent pour de courtes performances et sont sélectionnés par le public.
M Le magazine du Monde a choisi le rire comme fil conducteur pour son numéro de fin d’année. En treize épisodes, retrouvez ces portraits, reportages ou enquêtes sur le pouvoir de l’humour.
Episode 1 : Mohammed Amer, il était une fois un Palestinien en Amérique
Episode 2 : Blanche Gardin, les humoristes après elle
Episode 3 : Waly Dia, fine lame de la vanne politique
Episode 4 : Grandpamini, l’art de la couverture satirique
Episode 5 : Bassem Youssef, une ironie grinçante sur le conflit Israël-Hamas
Episode 6 : En Israël, les humoristes répondent à l’appel
Episode 7 : Les humoristes chinois ne plaisantent pas avec la censure
Episode 8 : En Ukraine, le rire comme gilet pare-balles
Episode 9 : Vous avez demandé Pierre La Police, ne quittez pas
Episode 10 : « J’étais en train de leur expliquer que quand je t’ai rencontrée, tu étais la plus grande pétomane de France »
Episode 11 : Au Québec, l’humour inclusif, ça s’apprend
Episode 12 : L’humour ne serait plus ce qu’il était ou le mythe du « c’était mieux avant »
Episode 13 : Blaguer pour alerter, le nouveau mode d’action des militants écolos
Aujourd’hui, des spectacles sont joués dans toutes les grandes villes du pays et on compte de plus en plus de comedy clubs. Mais, à mesure que la discipline rencontre un plus large auditoire, elle concentre l’attention des censeurs chinois et « perd alors de sa fraîcheur », observe Yutao – son prénom a été modifié à sa demande –, un humoriste de 28 ans, installé à Xiamen, une ville du sud-est du pays.
En mai, une affaire a secoué le milieu : à Pékin, un humoriste décrivant sur scène la passion de ses chiens à poursuivre un écureuil a eu le malheur d’utiliser un slogan de l’armée chinoise pour illustrer sa vanne : « Maintenir une conduite exemplaire, se battre pour vaincre. » Mal lui en a pris. Des spectateurs ont filmé sa performance, qui s’est ensuite retrouvée sur les réseaux sociaux, provoquant l’ire des patriotes chinois.
On ne badine pas avec une institution comme l’armée. En effet, le Bureau de la culture et du tourisme de Pékin a accusé le comédien, Li Haoshi, d’« insulte grave » à l’Armée populaire de libération et d’« impact sociétal néfaste ». Le studio Xiaoguo, promoteur du spectacle, a été condamné à une amende de 13 millions de yuans (1,6 million d’euros), interdit d’organiser d’autres représentations et invité à une « réflexion en profondeur » sur ses actes.
Il vous reste 55% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

en_USEnglish