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Au Sahel, le retour de la guerre froide

Depuis son déclenchement, en 2020, la série de coups d’Etat qui a porté des militaires antifrançais au pouvoir dans trois pays du Sahel − le Mali, le Burkina-Faso, puis le Niger − était couramment analysée comme résultant d’une volonté de rompre avec leur ancien colonisateur. La brutale éviction des soldats américains, signifiée, samedi 16 mars, par la junte nigérienne du général Abdourahamane Tiani, donne une autre dimension à la vague autoritaire qui a saisi cette région du continent africain : celle d’un retour à une « guerre froide », comme lorsque, dans les années 1960-1990, après les décolonisations, l’Afrique était devenue un terrain d’affrontements par procuration entre l’Est et l’Ouest.
La rupture avec la France consécutive au putsch du 26 juillet 2023 s’était traduite par la dénonciation des accords de défense avec Paris et par le départ du Niger, à la fin de décembre, du dernier soldat français. Les Etats-Unis, eux, se faisaient fort de ne pas subir le même sort pour leur millier de soldats, stationnés principalement à Agadez, base stratégique pour la lutte antidjihadiste comme pour endiguer l’influence croissante de la Russie. Se désolidarisant des « maladresses » de Paris, ils avaient mis deux mois et demi à qualifier de « coup d’Etat » le putsch du général Tiani et maintenu leur ambassade à Niamey, alors que le représentant français était expulsé. D’autres pays européens, comme l’Allemagne et l’Italie, avaient cru pouvoir s’affranchir de la position française et conserver des liens avec le Niger.
Venant après l’annonce, en décembre, du renforcement de la coopération militaire entre Niamey et Moscou, le camouflet infligé à Washington par le chef de la junte nigérienne, qui a refusé de recevoir la secrétaire d’Etat adjointe aux affaires africaines, puis annoncé l’expulsion des soldats américains, marque la volonté d’un véritable retournement d’alliance. Le Niger, considéré par les Occidentaux comme le dernier pays de la région susceptible d’accueillir leurs militaires, est désormais un allié de Moscou.
Officiellement, Washington assure attendre des « clarifications » de Niamey, mais ne peut que constater son erreur d’analyse quant à la trajectoire prise par une partie des Etats de l’Afrique de l’Ouest. Acrobatique, la posture américaine s’est avérée un mauvais calcul. Elle n’a pas empêché la remise en cause de l’influence des pays occidentaux dans cette partie du continent africain.
La suspension de l’aide américaine, une obligation juridique après un coup d’Etat, n’a pas incité le régime en place à Niamey depuis le 26 juillet à renouer avec la démocratie. Au contraire, cette exigence de Washington, même exprimée mezza voce, et sa mise en garde contre d’autres influences extérieures ont braqué les militaires. Ils ne se sont d’ailleurs pas privés de fustiger la volonté américaine de « dénier au peuple nigérien souverain », qui n’a pourtant pas eu l’heur jusqu’à présent de s’exprimer, le « droit de choisir ses partenaires ».
Ces derniers ne se limitent pas à la Russie, le Niger ayant ajouté sa voix à celles du Mali et du Burkina Faso pour féliciter Vladimir Poutine de sa réélection à la suite d’une mascarade électorale.
Washington s’inquiétait également d’un éventuel rapprochement entre Téhéran et Niamey, motivé par les gisements d’uranium nigériens, compte tenu des ambitions nucléaires de la République islamique. Le revers stratégique infligé par la junte militaire n’en est donc que plus cuisant.
Le Monde

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